traversée


Phares blancs, rouler la nuit – expiration lente, haleine de bêtes,
encolures courbes, ahans –
révélation du sang : la forêt vous traverse, elle continue de vous suivre – lumières par trouées, buées ovales devant –
les flancs des talus, les fossés – saignées le long de la route –

couleur – celle d’une haleine très pâle dans la matière pulmonaire de la nuit :
âme seule, échappée du corps, mise debout,  opaque,
une ombre blanche qui ne s’imprime sur rien, ne retient pas la lumière
– vigie perdue,
une cicatrice, une vapeur – à l’endroit où la toile n’a pu être peinte,
dessous le bois est visible,

les poumons apparaissent

l’âme ne peut être représentée autrement qu’elle-même –
grande virgule blanche, âme figurée vivante
devant les arbres et les prairies brunes – 

semblent broyés –
épaisseur de l’eau, mousses humus sphaignes, terre prise à la gorge – l’assise de la forêt rongée, avec elles ses formes verticales –

dévoration complète des couleurs –
la surface de la nuit est embuée –

teintes : sang, muscles, écorces, terre arrachée, chairs d’oiseaux –
matière sourde,

fougères osseuses – froissements d’écailles : feuillages, têtes se heurtant sans bruit – broderies noires effrangées sous le ciel, invisibles – sous l’habitacle


Rezé, 27/30 avril. A partir d’œuvres de Jean-Marie Bytebier, Abbaye de Fontevraud.

dissipation de l’ennui


J‘avais erré plusieurs jours, roulé seul
selon des boucles dénuées de sens ;
m’étais souvenu d’une chapelle romane en Aveyron,

Souvenir comme un rêve – ou désir comme un rêve :
image sommaire, indécise, obscure,
la chapelle tient debout, nichée en mémoire
comme l’illustration presque oubliée d’un livre d’architecture,

Vivants, fondus, gris, couleur de pierre nue :
l’abside, la voûte en cul-de-four, la nef, la fenêtre étroite derrière l’autel,
la lumière, modeste, basse,
là se tient le souvenir, inachevé :
un objet intérieur que je ne peux entièrement détacher

Souvenir : sa détente, élastique et soudaine
m’expulse vers lui

Entrée dans la chapelle ; approche par l’allée centrale,
lente,
vers l’autel
sans me rendre compte que
je suis dans la flèche du soleil

Pas une flèche
mais au fond de l’abside, par l’arc étroit,
la pression de la lumière,  une poussée depuis l’autre côté –
intense ;
un jet entier, transparent, tranchant
détachant l’abside de la nef –
entier, tranchant et retenu :

faisceau transparent pour n’éclairer que sa propre manifestation,
presque aveugle,
il ne s’est pas répandu plus loin que l’autel,
isolant la nef dans sa pénombre (fraîche, dépouillée et bruissante)

La lumière s’est à présent déposée sur la nappe nue de l’autel,
séparée des contours de la fenêtre,
– reparue comme se réouvre l’œil
par lequel est passé l’orage –
Un refuge, dépôt du lait sur la nappe,
nappe et lumière indistinctes :
émulsion de couleur vive, de lait et d’eau claire, comme chair,
leurs deux respirations jointes,
une Présence bientôt exprimée,
pour laisser sa place au cœur,
pour qui croyait le sien assombri, et muet

Il fallait retrouver mon âme doucement écorchée, et tranquille,
assouvie d’un paysage ou d’un regard qui l’étreignent,
parce qu’ils sont une voile affalée et tendue
en elle,
par elle obstinément relevée

Nant, Nantes – 1999 / Ecrit en 2021

géographie : le temps

… cette fois, je voudrais tenir la consistance de ce temps heurté,
perdu, négligé, continu, indifférent et mesurable –
au sein de la durée du voyage – non extraire un laps ni un trajet quelconques, mais tenir ce que la mémoire ne peut faire advenir que séparés – ni le fragment de temps ni celui de l’espace parcouru, ni la prise factice des souvenirs…

Dans la durée, la tenue à tout instant précis, d’un décompte : celui du temps restant, celui du temps à venir ; la teneur du temps présent – qui s’élève
à rebours : elle est un temps momentanément dissout, qui ne s’égrène qu’en silence.

Eprouver le temps comme une sorte de bruit muet – celui d’une pression contre le corps -comme le temps est pris dans ce bruit – le bruit, l’assise du temps, une rumeur ininterrompue, un fil balbutiant – son cours incessant comme eau mêlée à celui de la conscience,
– elle, son charroi, elle informulée et sèche, son chantonnement, par laquelle elle se dicte et se déchiffre elle-même – le bruit du temps qu’on ne perçoit pas – qui vous heurte – bruit, sa possibilité de compression et de dissolution, lorsqu’il se mêle à d’autres, sur la grande portée du corps, la teneur du temps égaré dans les lignes imperceptibles de la mémoire, comme les lignes et les courbes du trajet ;

A tout instant avancer, et insécable, la prise de vue extérieure selon le mouvement continu de l’habitacle, cadrant depuis son bord le défilement
de la vision ; les tâches successives et simultanées que la conductrice doit unifier dans ce laps – l’analyse qu’elle doit, portée par la vitesse, opérer continûment, immergée dans ce qui n’est pas un paysage, mais une étoffe continuellement fixe, une étoffe ondoyante dressée entre le paysage et le corps : et le véhicule est la scène, mobile ;

Et nous deux, absentés et conscients, la bribe de conversation qu’on pourrait extraire, à peine compréhensible, d’être écourtée –

Et dans l’instant délimité, l’intérêt porté par le regard à tel détail de la montagne, au village aperçu au loin sous la courbe de l’autoroute, et dépassé
(après, me retourner, puisque la route offre une large courbe concave : le mot de violence en premier, le village non pas franchi mais ignoré – passer au-dessus comme au-dessus d’une pierre, d’un amas quelconque, et comment résider là, en dessous – résister ?) ou d’un bâtiment désert ou celui d’une vallée – disposant deux ou trois mots pour fixer l’impression qui m’a percutée puis l’oublier, ou tenter, après, dans la séquence qui aurait suivi, de la démêler, de l’alléger par le fil du langage –

[ Somewhere ]
Il est arrivé qu’une longue secousse s’empare de moi ;  une seconde pour la pointe de la sensation reçue, l’écharde sous l’ongle – ignorant à cet instant ce qu’elle était parvenue  à desceller au fond de moi – elle prenant toute la place, se retournant lentement – et la sensation reçue de s’épanouir – reçue par le seul détail de la boule opaque d’un lampadaire sur le bas-côté –  et de s’épandre, et comme les fils profonds de cette sensation résistaient – le souvenir auquel ils étaient crochetés – et elle de flairer avidement autour du premier mot venu, de la première phrase formée – mes yeux ouverts face à cet éblouissement intérieur, et sombre – m’efforçant de revenir à la sensation et l’image premières – la lumière ; et elle (la sensation) flairant tout ce temps sans relâche autour de chaque mot qui s’était exondé – déjà pesé, avalé ou dissout – le temps était devenu celui de cette fouille patiente  comme remuer la terre et chercher, aveugle, le trésor enfoui – et le temps l’avait transmuée en mots justes ou nouée en figures : le poème s’est écrit en voiture, au fond du ventre la sensation qui s’était éveillée, une boule lumineuse et lourde qui s’était éclaircie – écrire, une voile qu’il fallait sans cesse continuer de hisser 

[anywhere]
Mais le plus souvent, n’obtenir qu’un fade bruit intérieur, un babil répétitif et lassant – des mots vides, hébétés – parfois, comme une traîne, une vague envie d’exploration, transmuée immédiatement en remords – le désir de pénétrer ce paysage et de m’y enfouir, pour un chemin aperçu – promesse de saisie de l’espace tout entier, comme un abandon où le tenir

[ everywhere]
Une somme impossible à constituer,
l’éclosion infiniment fanée et renaissante de l’attention, du désir, de la rêverie ; dans le corps, le gouffre sans fond d’un instant,
et l’instant du corps dans l’espace : la mesure tangible de quelques pas assurés ou du franchissement de quelques dizaines de mètres.

On the road 2022/24 (reprise d’un texte)

gravitation


Chants d’oiseaux ; soir, la ville est muette.
Je marche brièvement sur le pont, la rivière – soieries couleurs de terre,
vases qui ont enflées, effluents noirs versés dans l’eau,
Chants d’oiseaux : est-ce depuis les peupliers dressés à main droite, ou ceux
de la rive opposée ?

Chants émis sans repères dans le ciel : élévation pure, ampleur immesurée –
le ciel est raide, murailles bleu pâle, lointaines, indécises,

Nul bruit autre qu’éclats de chants d’oiseaux, irréguliers indécelables,
pris dans les mailles d’une senne – chacun faufilé pour tendre, étirer
soulever la senne entière,

Chants clairs, trilles, ressorts donnés à la maille, chants clairs,
petits grincements émis de nulle part, vigies cachées,
chants clairs, déchirures légères de l’air en forme de chants, éraflures,
détente de l’air, silence intermittent, relâchement de la pression des mailles
de la senne,

Chants emplissant l’espace et la durée ;
mon souffle s’est retenu – aspiré par la portée silencieuse de l’air :
chants d’oiseaux interrompus, silence autour –
je demeure immobile,
(s’est dissout l’espace)

Ils chantent à présent, l’espace est aboli – comme fondre- dans leurs chants à mesure que les notes percent le silence,
désert soudain tangible souvenir ou idée nue d’une angoisse
le mot de désert : marcher nulle part, le vide, 
il se soulève –

Le vide se fait dans le corps : lui est retiré ce qui lui pèse,
l’éloigne de l’idée
de vol,
avec l’ablation simultanée de l’espace,

Ne restent que les chants purs, éclats dans l’air, imprévisibles,
une poursuite inaudible,

Ainsi me suis-je cru perdu en le ciel,
en l’absence de ciel et de terre,
arraché nu par
la force de  gravitation des cris d’oiseaux


Rezé,  Loire-Inférieure
30 mars / 2 avril 24. Photos AGP (Loire à Chaumont ; orée de Brocéliande)

Retour

Ce  paysage s’oppose avec force aux pèlerins,
revenants de Compostelle,
avec ses collines tranchées par le milieu, d’un coup sec, sans pitié,
laissant apparaître leur pulpe grenue, brune, argileuse,

ses villages couleur bistre ou de grès rouge – 
semblent s’être déchirés  tout le long des routes,
alignent leurs ruines, et de très hauts bâtiments
gris et sombres, inhabités –
des engins agricoles (charrues, andaineurs), abandonnés,
déchets débordant des sacs à tous carrefours.

Le ciel reste gris, un four contenant le soleil.

Collines que l’on traverse, désolées,
grande ingratitude des reliefs semblables
à des cartons écrasés ou coupés,
empilés les uns sur les autres, en désordre,
exhibant une chair de sable gris,
couverts d’une végétation maigre,
d’arbres ne parvenant pas à s’élever.

Ensuite, prolifération d’ouvrages d’art –
passerelles, ponts –
jetés en pleine campagne,
par dizaines. Isolés,
Reliés à rien, sinon des tranchées, des saignées,
l’idée d’une route (une pensée malade).

La pluie semblait imminente.
Nous nous étions arrêtés dans un village, sur une hauteur

Le soleil s’était libéré, déclinant, paisible,
libérant toutes choses
– ombres lumineuses –
Une par une, pour celui qui marche


Rioja, août

feuillages

1
J‘ignore tout d’un paysage de neige –
(j’ai oublié tout de la neige, qui ne tient),
d’un paysage aboli par la neige,
sa Présence, sa Plénitude ;

devant lui, mon âme soudainement
avide,  douloureuse, presque –
vide devant la neige,

c’était dans un autre monde,
un désir lointain que j’ai cru assouvi, 
dans un rêve docile, et perdu,

le désir à présent figé devant
la promesse d’un retour,
le paysage de neige –
Le recueillir,
vidé, impatient, endolori –
entrelacs de la chair autour de
ce qui ne fut qu’en rêve ;

2
Empreinte des formes dans leur effacement,
agrandissement du paysage, formes répétées,
étendues sobres nues pures,
miroirs posés là qu’elles débordent –
absence de bornage –
apparition des voies à prendre :
lignes noires,
la neige ne s’est pas déposée là ;

Abolition du paysage –
ce qui est retiré, plus loin que lui, 
au-delà de lui :
sa profondeur affleure nue,
première, sous la neige ;

Et l’âme au même moment apparaît, nue,
n’osant s’attarder sur le froid qu’elle ressent,
connaissant déjà l’ample paysage  de neige :
qui est comme s’il était tombé, s’était figé
dans sa surprise,
l’absence de tristesse, 
son allègement soudain –
faisant qu’il se relève,
sa respiration devenue libre, large :
A l’âme il est miroir, et corps à rejoindre,
auquel se joindre, s’ajuster –
qu’ils se soulèvent ;

L’idée de paysage est enfuie,
dissoute dans l’absence,
Une ample vague,
une houle seulement posée :
une étoffe sans poids
sur la chair nue mise à nu,
levée du plus profond
de la terre,
chair d’un premier jour ;

à l’œil, au cœur, offerte, sûre,
tangible –
Argile sous la neige

3
Pour la seule sensation d’un chemin à prendre,
il est à demi enfoui,
je suis enfoui en elle
et l’issue qui existe, secrète et lumineuse
au fond de la neige, le chemin pris :

Un chemin de talus de neige et de feuillages
de neige au-dessus de moi
dalles de neige pour le rythme de la marche,
saccades sur un chemin creux, galerie creusée dans le buis ;

Buis de neige, rameaux dénudés,
premiers pas – bruit que fait la pulpe de la terre 
la neige sous les pieds

Rezé, Lignerolle, 29 février / 3 mars 24.

Photos : 3 &4 > AGP / 1 et 2 : Vincent Lecomte

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février | pluie

pluie d’hiver
transparences du jour accrues,

voir murs plantes herbe
dans l’auréole blanche, fanée
arbres routes pierres maisons –
silhouettes hersées, gestes démis  –

voir à travers eux, par
la lueur de l’eau,
– un film nulle part posé,
une peau : plus justement sa mue –
une mue liquide, sans épaisseur
vive, lente,
appliquée à toutes choses devant les yeux –
l’eau muée, impassible à l’intérieur d’elle
– glacée indifférente

murs plantes herbes arbres routes pierres
maisons poteaux haies clôtures –

passants :  encres qui ont goutté, taches, fils noirs pour retenir les halos du corps, leurs pièces disjointes (ils se fendent ou se démanchent s’ils meuvent – ou seulement apparaissent )

toute apparition est dissolution –
non pas visible à l’œil nu,
mais versée vers vous –
par traits et lignes, hachures, stries :

formes buées
devant les yeux – simples traits noirs, rais,
stries, hachures, noires,
devinées,
incises dans une masse pressée
par la lueur de la pluie,
(telle la gravure par la matrice)

les intervalles entre les traits les hachures
sont pleins

pour figurer les courbes, les formes torses,
les aplombs –
tout est surfaces, se réduit en surface dans l’espace
pour la vue
(le corps entier dessous, n’ignore rien de la pluie muée et entière)

façades, parpaings pierres enduits pignons
fenêtres nuages arbres foule – halos de toutes choses – traits mobiles fuyants –
recomposées dans leurs lignes amoncelées

(absence de pespective)

rien n’est loin ou plus proche
nulle matière ne se distingue plus d’une autre, matière unique et nue,
un seul corps par l’eau muée ;

sa lumière dissolvante
lisse, terne –
lumière semblant être passée au loin,

Versement du lait, chute du lait,
Clignements des paupières,
que viennent les choses –
Clignements de la pluie,
apportant sa  faible et
indémêlable lumière

Rezé,  26 et 27 février, relisant BUÉE de Françoise Morvan.

*

Buer : Emploi trans. Faire la buée, la lessive. Buer du linge. Dégager de la buée, de la vapeur. Participe passé, bué.e.s

obscurité – ce que j’ignore

1
pâleur sous la main qui frôle le mur
bras tendu, la paroi effleure les doigts :
matière venue contre la pointe des doigts, tenue sous l’empan
regarder l’obscurité : courants de l’ombre, passages de l’air,
lumières égarées parmi les terres découvertes de la nuit,
ses pistes d’ardoises sous les murs, ses galeries pleines –
l’obscurité emplie de vagues et de battements lointains-
le mur se déforme sous leur poussée.
2
ouvrir le manteau de Miséricorde, déjà empli d’un bruit invisible :
toutes mes âmes aimées, assemblées sous ses fils d’or sombre.
3
la nuit est emplie de bruits proches – appareillage des lieux :
écoulement de l’eau, ventilation, horlogeries enfouies et minutieuses,
une vie rudimentaire, disposée dans les pièces qui m’entourent 
faisant jouer ses rouages : allongement du corps suivi de sa rétraction –
ingestion –démarrage –
pas de grincement, une rumeur continue, étouffée –
celle d’un corps ayant subi la pression de la chaleur, s’en délestant.

bruits réglés, parvenant assourdis,
surgis sur le seuil du silence.
anonymes, insignifiants,
une rature de l’air.
4
les voix des âmes que je somme en silence ; 
visages et corps formés sur la seule portée, improvisée,
abolie, renée, du souffle,
voix presque muette de mes organes vivants
dictant la poussée, le long de la cage thoracique, de la gorge –
la voix chargée de celles que je n’entends pas :
ô pleines de terre et  pleines de grâce

Vicenza, août 22

négatif | paysage (routes de Bretagne, 2)


Eclat aveuglant du soleil – arc, flèche – les yeux dans son axe passager – soleil tenu haut, fixe, blanc – ruisselant – soleil épandu dans l’axe de la route – après l’ondée, luisante et souple – une lame d’argent glissant devant vous

le moment de photographier : les rives ne réfléchissent rien – l’apparition du clocher, vu de loin a précédé l’instant à partir duquel le négatif du paysage est clairement apparu – sa flèche est tendue à l’aplomb du soleil (ensuite le soleil s’est déplacé) ; ses jours tout juste perceptibles, un ou deux chas dans la masse effilée -au fond d’une coulée étroite, un long contre-jour : hauts talus verts – bâtiments obliques, en ombres massives, éparses – en ombres anonymes perdant au près, leur matière d’ombre : ils se présentent par l’épaule : pignons – ensuite fenêtres, seuil, toitures (flaques d’ardoises) – fibrociment

les villages se ressemblent – ressemblent à l’idée que je m’en fais sans les avoir vus ni besoin de les reconnaître – ils ont été oubliés à mesure qu’ils ont été traversés, empreintes dissemblables pourtant

remarquer après : le ciel était bleu – lignes de fuites en tous sens – traînées encore rectilignes et unies – celles devenues sillages et flocons – confusion avec les nuages – tous passages venant à l’état liquide dans le ciel – suspensions – maintenance au ciel de traces vivant pour elles-mêmes – traits qui ne se croisent pas – hautes profondeurs en aplat dont les amas ne se touchent pas,

au sol les seules lignes sont celles tirées de poteaux en poteaux – j’aime leurs tangentes dans les courbes – les lignes des câbles ne cessent de viser le clocher ou le soleil – mâture élémentaire, fils perpendiculaires parfois, doublés, ininterrompus, liquides –

les silhouettes des arbres effeuillés – en parler, plus tard, malgré leur impatience : les houppiers noirs nus, prolifèrent, s’agitent, parlent – ils retiennent tant d’âmes

Plounez, Côtes-du-Nord – Rezé-les-Nantes. Loire-Inférieure, 1/4 janvier 23.

Pièces détachées, routes de Bretagne, février 23 https://danslalumiererevenue.wordpress.com/2023/02/15/pieces-detachees-routes-de-bretagne/

oracle | Madonna del Parto


Elle ne pouvait naître qu’en ce lieu, sous cette forme, en ce moment-là,
ainsi que se produit un miracle : l’ouvrage est accompli, l’œuvre est là,
sans autre vocable que sa figure présente,
autre matière que celle devenue,
son présent engendré par elle,
elle est l’Oracle : la réponse qu’elle donne
aux questions qui viennent d’elle, comme d’une source

Ici, elle fait Un avec cette terre, ses secousses,
ses labours, ses âpres élans, le pain, l’eau,
la dévotion séculaire des femmes,
l’Apparition, ses mains ouvertes,
maintenant, plus rien n’est compté

les routes qui vous ont amené là ne comptent aucune borne
aucun fil ne les relie entre elles,
il suffit de prononcer les sombres et claires collines, l’Italie des sombres collines, entre Ombrie et Toscane,

Elle vous attend par des voies mystérieuses,
vous ignorez qu’elle vous a détourné,

Sa matière n’est pas celle de la fresque, encore moins celle du mur,
vous verrez, la porte s’abaisse, vous prenez garde au linteau (votre ferveur, tête un instant baissée),
les carreaux à terre (il n’est pas de distance entre Elle et vous),
sans le savoir votre cœur a bondi, vous a laissé
le temps qu’à Elle veniez – un soupir,

avant que vous l’aperceviez, n’était ni sombre ni muette,
celle que votre cœur espérait,
mais d’or et de bleu ciel dans l’obscure chapelle,
diffusant pour vous sa lumière secrète, tant de fois vénérée,

Elle est la Porte,
ne rien exprimer,
il faudra devant elle,
un regard ignorant, innocent, qu’il sache s’emplir d’Elle


En lisant Piero Calamendrei,  » Rencontre avec Piero della Francesca ». Éd. Rue d’Ulm, 2023. Rezé/Paimpol, nov/déc 2023. Avec le concours d‘Yves Bonnefoy.

aube | enfance

Je me suis levé le premier. L’aube. Je ne sais la décrire. Au loin, le soleil était encore humide, noyé dans le ciel, frotté dans le ciel, ciel et soleil dorés, humides, tous deux ; la ligne des crêtes les plus lointaines, celles qui ferment l’horizon, étaient, elles aussi, toutes dorées à leurs rebords, trempées par le soleil – et le soleil s’est levé lentement, comme une étoile qui aurait la tête en bas, les rayons dirigés vers les vallées, les contreforts des montagnes les plus petites, les lignes écorchées de leurs cimes, vers les montagnes plus petites que l’on voit toutes entières d’ici – derrière elles, les montagnes plus hautes étaient encore grises, encore effacées, exceptés les rebords de leurs corniches – le soleil a continué à monter, derrière les plus hauts sommets – et tout était rouge et jaune comme le feu, ses rayons de plus en plus grands, des lignes rouges, toutes droites, qui s’allongeaient vers le bas et s’étiraient maintenant de manière égale, devenant de plus en plus longues vers le haut, des rayons presque blancs, comme s’ils sortaient d’une auréole – et le ciel est devenu bleu, d’un bleu pâle, ainsi que des yeux qui se réveillent, et j’ai senti le froid sur mes bras et ensuite la chaleur s’est approchée lentement, pour mon seul visage – et soudain, j’ai perçu le silence, comme s’il m’était retiré quelque chose, et j’ai compris, ce silence était celui d’une gestation, ou celui d’une dernière hésitation avant la clarté, avant que les oiseaux peuplent le ciel – et le soleil était tout entier et les oiseaux ont chanté

Sardaigne.Barbagia.2021 D’un récit en cours, première Aube en montagne

zone portuaire

[Installations : « ensemble des objets, des appareils mis en place, des locaux aménagés en vue d’un certain usage« ]

images pour le marcheur, d’une matière débordante, ordonnée, inépuisable ; objets et relations entre les objets inextricables,  indescriptibles – fonctions qu’on ne sait nommer – dire objets pour ce ne voit pas ou indistinctement, partiellement, colorés, obscurs, reconnaissables – à la surface du bâtiment entier, la forme des caisses, l’emplacement du chariot, la dépose des filets,
l’ordre apparent vous échappe, plus grand que vous,

prendre son élan, photographier : n’en rien perdre, le traquer à ses jointures exactes, aux contours précis de ses posers au sol, à ses proportions, que le regard innocent dissocie, désajuste, dans l’espace, en relief, en hauteur, entre ombre et lumière… – abstraire le passage d’une matière sonore, prise dans le grincement de l’appareillage qui la transforme ou la transporte,

s’enferrer  dans l’idée à peu près inconsistante, et têtue que les fonctions du complexe, machineries, câblages, organisation du bâti, tracés viaires, etc… s’allient entre elles, comme elles peuvent,
[+ odeurs de soja, cris d’oiseaux, entrepôts ruinés, vent, bruit de la mer, couleurs du ciel  = paramètres & atours plus ou moins défraîchis du désir]

Lorient. Ports de Kergroise et Keroman. Nov 2023.