vertigo /  deux fois le corps

1

Vertige : un dérèglement tel qu’il suffit de l’imaginer pour l’éprouver réellement ;
comme désirer en imagination peut équivaloir à jouir de l’objet absent-
désir et vertige ont à voir l’un avec l’autre :
exhaussion de soi – à la nuance près d’une chute –
Extinction d’un côté, élans incessants de l’autre –

Survenant dès sa propre évocation, son épreuve n’est pas celle du manque
(rien dont être comblé serait l’objet)
mais celle du vide, impossible à rejoindre.

La distance du désir à son objet s’abolit dans la fruition.
Le vertige se tient dans sa propre distance qu’il ne peut abolir ;
la distance du vertige à son objet – le corps jeté, le corps qui tombe –
ne peut s’annuler.

Vertige, deux fois le corps.

Après n’avoir pu m’empêcher de me sentir,
par une sorte de désir anticipé, happé –
vient le vertige au présent :
vide sans corps, négation de ma pesanteur détachant le corps,
hors de lui, hors de sa peau
pour un spectre d’air, flottant dans la houle du vide, immobile.

2
Les organes du corps ont disparu,  
la distance du sol au ciel ne cesse de varier ;
être devant la vitre ou le parapet : gésir, effrayé,
le corps sur le point de décoller.

Le vide ni ne s’approche ni ne s’éloigne :
qu’il se tende vers vous, son afflux est retrait ;
qu’il se retire ou se creuse en grande profondeur,
celle-ci jaillit vers vous.

3
Tous, êtes irregardables : voir qui s’assoit sur le parapet
au-dessus de l’à-pic,
qui se penche au-dessus du garde-corps du belvédère,
les enfants qui courent au bord de la corniche –
je me retourne, je me détourne,  comme un ver.

4
Sur la terrasse de l’Empire State Building, m’adosser à la paroi intérieure,
tout près des ascenseurs ; regarder au loin, ne rien regarder,
avancer à tous petits pas sans perdre le contact avec le mur ;
me creuser – apnée – redoutant, m’attendant à ce que tous
se jettent dans le vide,
imminemment aspirés soudainement,
afin de m’effrayer.
Tous ont déjà presque décollés du sol, sans le savoir.
Je veux ignorer ce qui va se passer.
Je suis parmi tous, celui qui dit : tous êtes sur le point de  tomber,
en raison de votre proximité avec le vide, à cause de vos corps élastiques,
sur le point de vous entraîner ; impossible de vous regarder.
Je me retourne vers la paroi pour ne pas vous voir, ne pas vous voir tomber.

5
Vos corps sont parties du mien, par des organes aériens
et des souffleries invisibles.
Ou l’inverse est-il plus juste : vos corps m’ont greffé à eux,
et nous sommes un être unique, manœuvré dans le même gréement ;
les cordes sont tirées en même temps, par vous, afin de m’attirer vers le bord,
dans un tel désordre, une telle improvisation, une telle inconscience
que la voile ne peut gonfler, ni  nous prendre

2022/ 2024. Images agp, Ciel, Epidaure, KHM, Wien

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